Sanga Escura le 3 Juin 1977

Je n'ai plus grande notion des dates. je sais simplement que l'on est le premier dimanche de Juin et que dans quelques jours ce sera l'anniversaire de Papa "Parabens para você nesta data querida, muita felicidade muitos anos de vida"!...

C'est un jour gris aujourd'hui, après une semaine de soleil presque accablant. C'était un petit retour d'été avant d'affronter les grands froids. Aujourd'hui il fait lourd et ce ne serait pas étonnant que l'orage éclate.

D. est parti avec G. à Tapès (60 kilomètres) chercher des chèvres. Il doit en ramener trois, la mère et les deux chevreaux.

J'attends les visiteurs du dimanche. M.-M. doit arriver avec un coq au vin. Moi j'ai préparé des oeufs en neige et une tarte au citron. Pour digérer tout cela nous jouerons ensuite au volley !...

T. est malade depuis hier : 39 de fièvre, un grosse angine. Je la soigne à coup de Diénol dans le derrière et de Pschitt dans la gorge. P. R., le médecin, viendra la voir tout à l'heure. Elle est très abattue. Elle boit des litres d'eau. C'est elle qui inaugure, mais j'espère que ça va s'arrêter là.

Vendredi dernier, M.-M. et Me (une autre amie française), sont venues passer la journée avec moi. Nous avons fait des confitures d'orange amères et planté des salades, des fleurs et des plants de fraise. Je me plais énormément dans la ferme, mais quand je pense que c'est au Brésil, c'est déjà moins agréable. Si j'avais l'équivalent en Bretagne je n'en bougerais plus. Ici, il me manque la sécurité, tant affective que matérielle.

Mardi dix-huit heures

Mes propos de dimanche, presque amers ont été interrompus par l'arrivée de la bande. Le coq au vin était délicieux. Hier, j'ai reçu un coup de téléphone me proposant des cours particuliers de statistiques à donner. Ce n'est pas vraiment le genre de travail que je cherche. Je ne fais pas la mendicité, pas encore. Demain, je dois avoir un entretien avec quelqu'un du secrétariat de la Santé Publique. J'espère que ce sera plus fructueux, c'est mon dernier espoir. Ensuite j'abandonne mes recherches et je les commence en France. Avis à tous !... S'il y a une place quelque part pour moi en Bretagne, j'y cours, même et de préférence dans un coin perdu.

Je viens d'aller coucher les chèvres : deux chèvres et deux chevreaux mâles. Une des chèvres est pleine et doit avoir deux chevreaux. Il parait que ce sera un mâle et une femelle. Des méchouis en vue, car nous ne garderons qu'un mâle. Nous n'avons pas encore beaucoup de lait, car les deux chevreaux tètent tout. On essaie de les séparer la nuit, mais ils parviennent à passer par dessus les barricades.

 

Notre famille lapin s'est aussi agrandie. Nous avons deux belles lapines en plus, dont une qui sortait de la cage du mâle avant que nous ne l'achetions. Notre mère lapine devrait mettre bas la semaine prochaine. Je l'ai déjà isolée car elle devenait agressive.

Que je vous donne des nouvelles de T. ! P. R. est passé dimanche et a prescrit des antibiotiques. C'était une angine à streptocoques. Bien sûr, aussitôt, tout s'est arrangé. Aujourd'hui, elle s'est levée et a même fait une petite sortie. Elle retournera à l'école jeudi.

Cet après-midi j'ai arraché les mauvaises herbes et j'ai les mains toute brûlées par les orties. Les carottes et les radis poussent bien. On en mangera bientôt. J'ai transplanté les navets qui étaient trop serrés, mais ils paraissent avoir souffert. J'ai planté en caisse des oignons, des betteraves et des poireaux, et tout pousse bien. C'est un vrai temps de printemps en ce moment, presque d'été pour vous. Il a un peu plu hier et ce matin, mais ce soir, il fait très doux.

J'ai passé un bon moment à plat-ventre à l'affût près de la maison, car un « beija-flor » (oiseau-mouche), vient souvent s’abreuver au massif de fleurs au coin de la maison. J'ai fait presque un rouleau de pellicule pour être sûre d'en réussir. Ce n'était pas facile, car il partait au moindre petit mouvement. C'est vraiment très beau à voir. Je vous enverrai des épreuves s'il y en a de réussies.

 des photos (le beija flor)

J'ai deux fars qui cuisent dans le four et une poule au pot qui mijote. J'ai acheté une énorme marmite émaillée et il y a dedans du pot-au-feu en permanence. Un de ces soirs je vais faire du kig-ha-farz, mais avec du froment.

J'ai reçu la lettre de Papa, ça faisait longtemps que je l'attendais. Nous avons reçu la semaine dernière, une lettre de João. qui a mis six semaines à nous arriver de Paris. Il ne faut pas désespérer.

Ecrivez-moi plus souvent, s'il vous plaît, je me sens vraiment abandonnée.

 

Sanga Escura le 19 Juin 1977

 

Il fait depuis hier un temps exécrable. Il pleut presque sans arrêt depuis la nuit de samedi à dimanche. Il y a eu vingt-quatre heures d'orage, avec éclairs, tonnerre et pluies diluviennes. L'arróio (petit ruisseau) déborde et heureusement, la maison est construite sur un promontoire.

Hier nous organisions une fête pour les dix ans de T. et presque personne n'a pu venir à cause de la pluie. J'avais préparé beaucoup de choses. Nous en mangerons pour la semaine. T. a tout de même été gâtée par ceux qui ont eu le courage d'affronter l'orage. Elle semblait très satisfaite. Moi, je lui ai offert un couple de cochons d'Inde. Je les avais achetés mercredi à Porto Alegre et la nuit suivante, la chatte a tué le mâle. Quel drame ! J'ai aussitôt téléphoné à des amis pour qu'ils en achètent un autre. Et maintenant, la voilà consolée. Nous avons acheté chez Emmaüs, une cage avec des tas de compartiments où ils sont hors d'atteinte de la chatte.

  des photos (anniversaire de Tiphaine, hiver à Sanga Escura)

Malgré ce temps de Toussaint, tout le monde va bien. E. reçoit ce week-end un petit copain, Claudio. Ils s'entendent très bien tous les deux. J'ai eu le droit au deux ce matin dans mon lit ! E. se débrouille bien en Portugais avec lui.

Ce midi, pour réchauffer tout le monde, j'ai fait une grande potée aux feijões (haricots). On s'est régalé.

La lapine a préparé son nid, mais elle ne se décide pas à mettre bas. Les biquets non plus, ne sont pas encore nés. La chatte aussi est pleine, je vous l'ai peut-être déjà dit. Les plantations, elles, profitent bien de l’humidité.

Je suis allée au secrétariat de la Santé Publique. Je ne suis pas prêt d'y retourner. J’ai été reçue par le secrétaire d’état lui-même. J’ai attendu toute l’après-midi dans son bureau où une foule de gens entrait et sortait. Il ne s’occupait pas de moi, mais je l’ai entendu parler au téléphone pour demander la personne que je devais rencontrer. On lui a répondu qu’elle était absente et malgré cela, il m’a laissé poireauter. Il croyait que je ne comprenais pas le portugais, mais j’avais bien compris ! Vers 17 heures, je lui ai dit que je devais partir, alors il a fait le vide dans son bureau, il est venu s’asseoir à côté de moi et j’ai vite compris qu’il ne proposait pas de faire que des statistiques ! Il voulait bien me caser, mais demandait des compensations. Sans doute le droit de cuissage. La porte n’était pas fermée à clé, j'ai fui en pleurant de rage. Son bureau était au moins au trentième étage, je n’ai même pas voulu attendre l’ascenseur et j’ai dévalé à pied. Quand j’ai un peu retrouvé mes esprits, j’ai pris l’ascenseur quelques dix étages plus bas. L'avenir n'est donc pas très brillant. Je renonce à chercher encore.

Voilà les dernières nouvelles.

Nous n'en recevons pas beaucoup de chez vous et cela me manque.

J'espère que L. est bien remise. Ne peut-elle pas profiter de sa convalescence pour me donner les derniers potins ? ... Je serais très contente.

Les R. partent hélas définitivement, la semaine prochaine, et nous serons bien tristes. J'espère qu'ils iront vous voir. M.-M. m'a vendu son matériel « Moulinex » et ma vie est bien améliorée.

G. est allée chez le dentiste la semaine dernière. Elle a des caries. On lui a creusé une dent jusqu'à la racine. Il était temps. Elle doit y retourner la semaine prochaine. Elle n'apprécie pas beaucoup. C'est une amie « Alice » qui la soigne.

Nous vous enverrons des faire-part dès que les naissances auront eu lieu chez nous !

 

Muito Saudade.

 

Sanga Escura le 22 Juin 1977

Il a plu, plu, plu, sans arrêt pendant quatre jours, tout est inondé.

Dimanche soir sont nés les deux biquets, tous deux du sexe masculin ! J'ai pratiquement assisté à la mise bas. Ils sont déjà très alertes. Lundi matin, j'ai aussi trouvé quatre lapereaux dans le nid. Je pense qu'ils étaient nés depuis dimanche, mais elle les cachait bien.

A part cela, un des lapins mâles est très malade. Je crois qu'il a attrapé une pneumonie. J'ai acheté des antibiotiques que je lui donne à la petite cuiller. Il est dans une caisse à la maison. J'ai bien peur qu'il ne crève. Il y a de l’espoir, je crois que deux autres lapines sont pleines ! 

La pluie semble se calmer et ce soir on voit la lune.

D. n'a pas le moral. Lundi, ils ont vendu une tonne et demie de champignons frais qu’ils avaient gardés jusqu’au dernier moment pour les faire déshydrater dans une usine à Pelotas. C’était une nouvelle expérience qui devait ouvrir un gros marché, surtout parce que ça permet de laisser grossir les champignons, alors que pour le marché frais il faut les cueillir rapidement encore fermés. L’équipe a passé la nuit à charger le camion et aujourd'hui on a appris que le tout avait cramé lors de la déshydratation. Personne n’avait jamais utilisé la machine à déshydrater pour les champignons. Ils l'utilisent couramment pour les oignons, l'ail et les carottes et ils ont dû l’utiliser de la même façon pour les champignons qui sont beaucoup plus fragiles. Le plus fort, c'est qu'ils ne veulent pas le reconnaître et essayent de faire porter la faute à la mauvaise qualité des champignons. C'est comme ça, on n'a pas fini d'avoir des surprises !

Je ne m'étends pas sur mon aigreur !

 

des photos (le beija flor)   des photos (anniversaire de Tiphaine, hiver à Sanga Escura)

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