le 13 Avril 1977
Je pensais bien que cette lettre partirait d'Argentine, mais hélas, je ne connais pas encore l'Argentine ! Par contre, nous avons eu un aperçu de l'Uruguay. je vais vous raconter tout cela.
Samedi soir, comme prévu, nous sommes à l'aéroport, attendant l'avion de Buenos Aires. Une bonne partie de la colonie française nous accompagne, ainsi que An. et P. R.. Bagages enregistrés, passeports acheminés vers la police, nous attendons.
C'est alors que tout commence ! D. est appelé aux hauts parleurs. Il se rend au comptoir, on lui dit : 'Mais où sont les enfants ?'. Nous avions oublié que sur mon passeport figuraient les enfants et que le visa valait pour quatre personnes ! Je n'ai donc pas la possibilité de quitter le Brésil sans eux et notre visa expire le lendemain. Je ne peux non plus rester avec eux plus d'une journée sur le sol Brésilien. C'est alors que P. R. intervient. Il parlemente un bon moment : pas de solution ! Finalement il m'en propose une : D. part tout seul, je reste avec les enfants. Le lundi, P. R. vient avec moi à la police, présente un certificat médical comme quoi un enfant était malade et que nous n'avons pu sortir à temps, paye l'amende et il me jure alors qu'il parviendra à régulariser la situation. Après tout cela, moi je n’ai plus qu’à aller tranquillement rejoindre D. en Argentine, le mercredi, avec ou sans les enfants et le tour est joué ! Je suis désespérée, je suis confuse. Je me tourne tout dans la tête et je ne vois pas d'autre solution. J’en veux aussi à P.R. avec ses réactions machistes ! Heureusement, l'avion a deux heures de retard et cela me donne du temps pour réfléchir. Quand je peux voir un peu plus clair, je refuse cette solution qui me parait bancale et laisse le rôle facile à D. et à moi tous les tracas. Pour le meilleur et pour le pire !...
Je propose finalement que le voyage soit reporté pour tous deux et que nous filions vite avec les enfants à la frontière la plus proche. Et c'est ce qui est retenu au grand dam de P.R. !
Nous essayons de trouver un autobus. Ils sont tous complets. La voiture a des ennuis de batterie et de freins. Il est dix heures du soir, P. R. nous emmène dans un garage ouvert 24 heures sur 24. Nous attendons deux heures qu’ils fassent le nécessaire. Tout est prêt ! Au moment de payer, D. s'aperçoit qu’il n’a pas les papiers de la voiture. Il faut repasser à la maison pour les chercher.
Nous rentrons à Guaíba et rien à faire pour retrouver les papiers ! La nuit porte conseil. Il est plus d’une heure du matin, ça n’avance à rien de partir à cette heure. Tout le monde va prendre un peu de sommeil !
Levés à six heures, ne pouvant prendre notre voiture sans les papiers, nous récupérons la camionnette de la culture et sous une pluie battante nous prenons la route, tous les cinq. Cinq cents kilomètres nous séparent de Chuí, à la frontière uruguayenne. Il fait froid dans la voiture, pas de chauffage. Les enfants sont à l’arrière, toutes bâches baissées, enroulés dans les sacs de couchage. Arrivés à deux heures de l'après-midi, nous laissons la voiture à la frontière, n'ayant pas l'autorisation de la sortir. Les déplacements en Uruguay vont se faire en autobus. Qu'il fait froid !... Je me sens pourtant toute légère d'avoir quitté le Brésil. Une promenade au bord de la mer, puis nous passons la nuit à Castillos, dans l'unique hôtel, plutôt sale, punaises dans les lits, pas de couvertures, mais pas cher !...
Le lendemain, le beau temps est revenu, mais le froid persiste. Nous retournons vers Chuí par l'autobus de midi. Au poste frontière uruguayen, l'autobus ne arrête pas. D. le fait arrêter et descend tout seul faire tamponner les passeports. Il nous rejoints en auto-stop. Nous retrouvons la camionnette, prenons le temps de faire un peu de shopping à Chuí: couvertures et chaussons de laine pour toute la famille. Chuí est une ville moitié Brésilienne et moitié Uruguayenne, la rue principale sert de frontière. D'un côté les noms sont portugais et de l'autre espagnol. Les postes frontières sont de chaque côté de la ville, à deux kilomètres.
Enfin, très émus, nous passons le poste frontière brésilien. Nous craignons qu'ils ne tiquent à cause de notre si court séjour en Uruguay. Et non ! Tous se passe bien ! Nous voilà repartis avec un nouveau visa, pour quatre-vingt-dix jours.
Hélas les ennuis ne font que commencer ! A cinq kilomètres environ, après la frontière, contrôle de police. D. n'a plus de permis de conduire valable, vu qu'il expirait avec le visa. Ils nous font aller au poste de police de la ville la plus proche et là, il faut faire des photos, payer des taxes, et ils donnent à D une autorisation de conduire pour cinq jours. Nous voilà repartis !...
Tout à coup, une explosion, la voiture navigue, un pneu éclaté. Ouf !... Nous avons eu chaud. La route surplombe les champs à cet endroit. Comble de malchance, le cric ne fonctionne pas. Après avoir arrêté plusieurs voitures et fait plusieurs essais infructueux, un camion a enfin le bon cric et nous pouvons changer le pneu éclaté par le pneu de secours tout aussi lisse ! Nous voilà de nouveau sur la route.
Nous roulons, roulons. Une halte rapide à un restaurant de station-service pour manger un bauru (sorte de hamburger !) chaud ! Nous repartons, seul D peut conduire, je n’ai plus de permis. Les enfants sont encore à l’arrière, mais bien enveloppés maintenant dans les couvertures neuves ! J’essaye de ne pas m’endormir pour tenir compagnie à D., mais la fatigue est telle que je pique du nez, ce n’est vraiment pas confortable ! A trois heures du matin, un cahot me réveille, enfin nous nous engouffrons sur le chemin de terre qui mène à la culture. La voiture s’engage, et cinq cents mètres après, nouveau pneu crevé, et pas de roue de secours !... Nous terminerons tous les deux à pied les cinq kilomètres qui nous séparent encore de chez Barcello où est restée notre voiture. Les enfants dormant à l'arrière de la camionnette ! La pluie a cessé et il fait un beau clair de lune. En cours de route, soudain un bruit de chaîne traînant à terre, puis un ombre se déplaçant lentement sur la route. Un fantôme, pensons-nous. Ce n'est qu'un cheval fugueur et famélique éclairé par la lune !... Enfin nous récupérons notre voiture, retournons chercher les enfants. Et Ouf ! chacun retrouve son lit ! Il est six heures du matin. Notre épopée a duré exactement 48 heures. Voilà la fin de notre aventure !...
L’aperçu que nous avons vu de l’Uruguay nous a paru très pauvre, bien plus que le côté brésilien, sans doute parce qu’on y sent plus le passage européen dont il ne reste que des ruines. De vieilles maisons coloniales de style espagnol, érodées par le temps, mais qui paraissent avoir été très riches en couleur. La végétation a repris le dessus. De très vieilles voitures, modèles comme on n’en voit plus ailleurs, mais qui à l’opposé des maisons, semblent bien entretenues et continuent à rouler. Il doit y avoir de bons mécaniciens. Dans ce décor vieillot, les gens paraissent tristes.
Après toute cette aventure, nous avons appris qu’au jour prévu, personne ne nous attendait à Buenos Aires car les télégrammes envoyés pour annoncer notre arrivée n'étaient jamais parvenus ! Cela m’a encore renforcé dans l’idée que j’avais bien fait de résister à l’esprit macho de P R. !
Dès notre retour, nous sommes allés au consulat de France faire des passeports pour les enfants. Demain, P. R. ira faire reporter les visas de mon passeport sur ceux des enfants, et dimanche soir, si tout va bien, nous partirons réellement pour Buenos Aires !
Il va falloir réorganiser le gardiennage des enfants, puis refaire les provisions. Voilà la vie aventureuse du Brésil !...
Aujourd'hui, les enfants et moi avons récupéré. D. toujours aussi effervescent, prépare le prochain voyage.
J'ai retrouvé la vie à la campagne. J'ai rentré le foin dans le « galpão ». Hélas, pas entièrement et j'ai peur qu'il ne pleuve. Il fait orageux ce soir.
Cet après-midi, j'ai cueilli des kakis. Nous avons trois arbres croulant sous les fruits. Il faut, avant de pouvoir les manger, les faire pourrir dans du papier journal, un peu comme on faisait avec les dattes fraîches au Maroc. Nous n'arriverons sûrement pas à tout manger. Les oranges et les citrons commencent aussi à mûrir. Nous avons de grosses oranges navels, mais les arbres sont malades n'ayant pas été entretenus depuis longtemps. Les oranges éclatent en deux avant d'arriver à maturité.
Notre puits est à nouveau à sec, la pluie de dimanche n'a pas suffi à le remplir. Depuis la fin de l'été il fait très sec.