le 6 décembre 1976

Voilà un moment que votre aérogramme est arrivé. Il a gagné 3 jours sur la normale : 5 jours au lieu de 8, c'est appréciable. Continuez.

Nous recevons de temps en temps des coups de téléphone de France. Notre cousine a demandé si vous aviez le téléphone. Elle pourrait nous mettre en communication. Si vous aviez un voisin qui ait le téléphone, on pourrait s’y donner rendez-vous un soir. On combinerait une rencontre (du portugais combinaremos um encontro !). Vous pouvez joindre directement la cousine, ce serait une bonne surprise de vous entendre.

Nous venons de fêter les 7 ans d'E. et les invités viennent de partir. C'était la grande fête. Le réfrigérateur était plein et il est encore presque plein. J'avais fait une tarte à l'ananas (abacaxi) et une charlotte. Il nous en reste en quantité, parce que la chaleur torride empêche de manger... C'est accablant, nous sommes trempés de sueur des pieds à la tête !

E. semble heureux de ses cadeaux : des play-mobiles que j’ai eu la surprise de trouver à Porto Alegre aux « lojas americanas », grand magasin dans le genre des « Galeries Lafayette », puis une bétonneuse et une dépanneuse.

Autre grande nouvelle : nous avons reçu nos malles. Quelle fête ! Les enfants ont retrouvé leurs jouets ainsi que leurs livres. Nous ne pouvons que regretter de ne pas y avoir mis plus de choses, car maintenant, nous n’avons plus rien à attendre.

Demain j'ai rendez-vous à Porto Alegre à l'institut de Mathématiques pour un emploi éventuel. Cela pourrait m'ouvrir des horizons. Il y aurait alors le problème de trouver quelqu'un pour suivre le travail des enfants. Mais, je ne dois pas mettre pas la charrue avant les bœufs !...

D. a de la chance : il a un travail qui le passionne. Il y passe même les nuits en ce moment ! C’est la période de la pasteurisation, phase très délicate. Il s’agit de rentrer des tonnes de compost non encore inoculé en mycélium, dans des salles obscures, puis de faire monter la température vers des zones très très élevées, pour ensuite la faire redescendre très progressivement, en suivant le plus près possible une courbe modèle. Cela se fait sur plusieurs jours. Ainsi des germes qui seraient nocifs au développement des champignons sont détruits. Voilà une explication donnée par un amateur.

Bien sûr cela nécessite des appareils de climatisation très sophistiqués et fiables. Comme la qualité est encore loin d’être certaine, D. préfère rester sur place et suivre tout au fur et à mesure. Pourvu que ça marche, il l’aura mérité !

Dimanche nous sommes allés en balade à Canela. C’est une petite ville située dans la montagne, dans l’arrière-pays de Porto Alegre. C’est une région où se sont installés entre les deux guerres beaucoup de familles allemandes. On l’appelle les colonies allemandes. Nous faisions très couleur locale parmi eux ! Ici on nous prend toujours pour des Allemands !

C’est en altitude, donc il fait un peu plus frais qu’autour de Guaíba. Des haies d’hortensias bordent les routes. Puis nous sommes passés à Novo Hamburgo, où nous avons acheté de la vaisselle en émail : assiettes, chopes et tasses à café. Ensuite nous sommes allés à la cascade do Caracol. C'était impressionnant, une hauteur de 100 mètres de cascade au milieu d’une forêt d’" araucárias". Il faisait très beau. Nous avons fait des photos, nous vous en enverrons.

des photos (la serra gaucha)

Samedi pour mon anniversaire, nous prévoyons de faire une fête. Nous avons invité les deux couples français et les deux couples brésiliens que nous connaissons. Ce sont les seules connaissances que nous ayons jusqu’à présent dans ce grand pays. Pour pouvoir les faire asseoir, nous voudrions auparavant acheter des fauteuils ! Vendredi nous irons sans doute à Torres pour en acheter.

 

Le 7 Décembre

Je reprends ma lettre aujourd'hui. Nous avons eu un orage épouvantable cette nuit et aujourd'hui le temps reste gris et l'air est très pesant. Je crois qu'il va encore tonner.

D. n’apparaît pratiquement plus à la maison. La culture manque encore d'organisation, avec des problèmes de personnel et de matériel. Il doit tout assurer.

Ce matin, je suis allée toute seule à mon rendez-vous à Porto Alegre. J'ai donné mon curriculum et ils doivent me téléphoner avant samedi. Ils m’ont dit que ça pouvait les intéresser que je donne des cours de statistique. Cela me ferait du bien de retrouver un peu d'indépendance. Je ne suis pas née pour être soumise !

E. est assis près de moi. Il fait ses devoirs du CNTE en poussant beaucoup de soupirs. Depuis que les livres sont arrivés, il n’a plus d’excuse et ce n'est pas drôle !

Je remercie C. pour sa lettre. Dommage que Plougastel soit si loin. J'aurais du travail pour elle : répétitrice pour les enfants ! Si le cœur lui en dit et si elle gagne un voyage au Brésil !...

J’essayerai comme vous d’utiliser des aérogrammes pour vous écrire, afin de gagner du temps sur les transports.


le 27 décembre 1976

Que de semaines longues et tristes sans courrier, et la veille de Noël, enfin, nous avons été gâtés : deux lettres à la fois. Cela tombait bien et nous nous sommes sentis plus près de vous ce soir-là, pensant avec nostalgie au Noël dernier où nous étions tous ensemble.

Vous nous parlez de paquets de journaux que vous nous avez envoyés, mais nous n'avons encore reçu qu'un " Télégramme de Brest ". Il y a des retards dans le courrier en ces périodes de fête. Cela finira bien par nous arriver.

Aujourd'hui, les enfants ont reçu un colis de M N., qui leur est parvenu en trois jours. Un vrai miracle ! Il était posté d'Orly et il a du passer par du personnel d’Air France, car son mari y travaille. Les enfants étaient heureux : des legos, des play mobiles et un mobile à fabriquer. Nous avons eu très peu des taxes à payer : expérience concluante pour le premier colis que nous recevons !

Que je vous raconte un peu notre vie depuis la dernière lettre.

Nous sommes donc allés à Torres, la semaine dernière, acheter deux fauteuils et une table basse. Ce sont de vrais monuments, très lourds, en bois de jacaranda. Ils nécessitent un régiment pour les déplacer ! Nous avons aussi acheté des carrés de mousse et du tissu pour confectionner des coussins. J’ai pour l’instant épinglé le tissu autour de la mousse, il faudra bien que je trouve un moment pour les coudre !

Nous avons fait le déplacement avec la camionnette de la ferme, afin de pouvoir ramener le tout. Les enfants étaient à l'arrière en compagnie du chat ! En effet, depuis une quinzaine de jours nous avons une petite chatte. Des voisins l’ont déposée un matin sur la pelouse devant la maison. Qui aurait eu le cœur de la refuser ? Nous l'avons appelée Bisig. Les enfants ne s’en séparent plus et elle a même le droit aux voyages !

A Torres, il ne faisait pas très beau. Après la grosse vague de chaleur des semaines passées, le temps est devenu instable et il pleut un jour sur trois environ. Les sautes de température peuvent être impressionnantes d’un jour à l’autre, quand survient un orage.

Nous avons eu quelque frayeur sur la route, car les freins de la camionnette ont lâché plusieurs fois ! La première fois heureusement la pente n’était pas forte et la voiture a pu s’arrêter, ensuite le sachant, on a pu anticiper et utiliser le frein à main. Il manquait sans doute d’huile dans le circuit de frein, et nous n’avions pas été prévenus !

Mon repas d’anniversaire s’est bien passé. Tout le monde était à l’aise. Nous étions installés dans le garage où il y a un four spécial pour faire le churrasco. Nous avons sorti la guitare que je viens d’acheter et tout le monde a chanté, en Portugais et en Français. C’est une belle guitare brésilienne. Dommage que je ne puisse pas automatiquement jouer de la bossa nova avec. Il va me falloir travailler !…

Nous avons été invités à passer la veillée de Noël chez la mère d'A. à Porto Alegre. Toute sa famille était là. Le père Noël ne nous avait pas oubliés : E. a encore eu un play-mobile et des petites voitures de course ; les filles des anneaux, des perles et une broderie à faire ; moi j'ai eu un collier et un bracelet de Bahia.

 des photos (premier noël au Brésil)

C'était sympathique et nous sommes rentrés vers deux heures du matin. Noël se fête ici comme en Europe, avec des arbres de Noël couverts de fausse neige et des pères Noël barbus dans les rues qui doivent crever de chaleur sous leur cape rouge. C’est étonnant de passer Noël sous cette grosse chaleur !

En arrivant à la maison, nous avons constaté que le père Noël était aussi passé et devant la cheminée les enfants ont trouvé des surprises : d’autres play-mobiles pour E. ; des play bigs pour T. (c'est un peu la même chose, en plus grand) ; une lampe de chevet pour G..

Moi, je me suis couchée en rentrant et D. est reparti à la ferme pour voir ses champignons. Il parait que les enfants se sont couchés à quatre heures et demie. Le lendemain, tout le monde a récupéré en faisant la grasse matinée. Les enfants se sont levés vers onze heures. Le soir, re belote, nous étions encore de sortie. Un couple franco-brésilien avait organisé, à Porto Alegre, un Noël spécial étrangers. Nous y avons retrouvé les R. et les A.. Puis nous avons fait d’autres connaissances. En particulier, nous avons beaucoup sympathisé avec des Américains, A., qui est consul américain à Porto Alegre, sa femme, P., puis, un autre couple Ed et Sarah.

Les enfants étaient aussi de la fête. Nous avons dansé la samba " meu sapato já furou, meu dinheiro acabou ... ". C’était la samba (plutôt le samba comme on dit ici) du ralliement ! Nous sommes rentrés encore plus tard que la veille !

Ouf ! cette semaine, les enfants sont en vacances du CNTE.

E. a lâché complètement. On y a renoncé trouvant que c’était déjà beaucoup lui demander de se mettre au Portugais. Il valait mieux arrêter plutôt que de le traumatiser et le bloquer définitivement. J’aimerais mieux qu’il s’adapte à l’école locale. On verra à la prochaine rentrée en février !

T. a reçu des premiers résultats très encourageants du CNTE, pour elle et pour moi. Alors, on va continuer !

G. ne se foule pas trop et les appréciations des professeurs français sont toujours les mêmes : " pourrait mieux faire ". Enfin, je ne me fais pas de soucis pour elle, elle devrait s'en sortir. Entre autres, elle a découvert ici deux choses pour lesquelles elle paraît douée : le cheval et les langues !

Le cheval, elle n'en fait plus beaucoup. On nous a fait miroiter beaucoup de choses lorsque nous sommes arrivés. Maintenant tout est à l'état stagnant.

Je suis dans une mauvaise passe en ce moment. Le bilan que je fais de deux mois et demi passés ici est plutôt négatif. Tous les Français me disent que cela va se calmer, qu'ils ont tous connu cette phase et qu'il ne faut pas que je me décourage. Il y a des jours où c'est très dur et ce n'est pas le paradis que l'on s'était imaginé. Je ne crois vraiment pas que j'y ferai ma vie. Il n'y a qu'une seule chose qui compte pour tout le monde ici : le fric. Je ne vais pas m'étendre et pousser plus loin mes lamentations... Je pense que cela passera, ou alors...

Nos visas de touristes sont encore valables pour quinze jours. Si les papiers ne sont pas faits pour alors, nous serons sans doute obligés d’aller faire un tour à Montevideo afin de proroger le visa pour encore trois mois.

Le régime des permis de séjour est assez compliqué. Les étrangers que nous avons rencontrés nous ont bien expliqué. Il existe deux possibilités : un visa permanent ou un visa temporaire renouvelable tous les ans. C'est dans un premier temps ce qui paraît le plus intéressant pour nous. En effet, pour sortir du Brésil tout résident doit obligatoirement demander un visa de sortie. Les Brésiliens ou les étrangers qui ont un permis de séjour permanent, lorsqu’ils font la demande du visa de sortie sont obligés de déposer une somme d’argent à la banque. Ce n’est pas une petite somme, l’équivalent de 3000 F par personne, enfant ou adulte. Le visa obtenu est valable pour une durée de 6 mois. L’argent «  o depósito » doit resté déposé à la banque pendant ces 6 mois. Or l’inflation est très élevée, de l’ordre de 50 % par mois. Au bout de 6 mois, cet argent qui n’est pas réévalué a perdu beaucoup de sa valeur. Les étrangers qui ont un visa temporaire, même s’ils sont aussi obligés de demander le visa de sortie, sont exemptés du « depósito ». D’où l’avantage de ce permis provisoire. Pour l’obtenir, nous serons obligés d'aller faire les démarches en dehors du Brésil, au consulat brésilien le plus proche, soit Buenos Aires, soit Montevideo. Avant de faire les démarches de demande de visa, il faut attendre que le permis de travail de D. soit prêt. PR fait les démarches, les papiers nécessaires sont déjà partis à Brasilia et le retour mettra le temps que l’administration jugera bon !. C’est une sacrée bureaucratie et le circuit a l’air compliqué. Nous aurons donc une balade en prévision, quand tout sera prêt. En attendant on espère pouvoir rester comme touristes, que les prorogations seront acceptées et qu’on ne nous mettra pas dehors !

Les champignons ont pris un sale coup de chaleur et la première récolte est compromise. L'air conditionné doit être installé tous les jours, mais rien ne se fait... c'est ainsi.

Je rêve de truffes au chocolat !...

Et pour le téléphone, avez-vous trouvé une possibilité ? Dépêchez-vous, car la cousine doit bientôt perdre son emploi, le téléphone va être automatisé dans sa région !

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