Le 8 novembre 1976
Quel événement à la maison l'autre jour à l’arrivée de votre première lettre ! C’était à qui la lirait le premier, déçu qu'elle ne soit pas encore plus longue.
La vie continue à s'installer lentement.
Pas grand-chose de plus, à part des coussins énormes que j'ai cousus pour rendre plus confortable le coin télévision. Je crochète maintenant des patchworks pour recouvrir les coussins.
Ah si ! chose importante : une fille Rosa, « faxineira », vient m’aider pour le ménage et la lessive, ce qui me laisse plus de temps pour faire travailler les enfants. Elle est gentille et efficace, le seul problème est qu’elle n’apparaît pas les jours de pluie ! Je me rendrai compte par la suite que c’est assez général. On m’a expliqué que c’était parce que la couverture maladie est si peu efficace que les gens ne veulent pas tomber malade en attrapant froid !
Dimanche dernier, nous sommes allés à Torres, station balnéaire à une centaine de kilomètres de Porto Alegre et où PR. et A. ont une maison de vacances ! Torres est située sur la côte Atlantique, donc un peu plus près de la France !!!… La mer était très forte, il y avait d’énormes rouleaux dans lesquels nous nous sommes bien amusés. Les enfants se sont régalés.
des photos (bain de mer à Torres)
Tout autour de Torres de nombreux artisans fabriquent de superbes meubles en bois massif et à des prix qui nous paraissent incroyables ! Cela nous a permis de rêver que bientôt nous dormirions dans des lits somptueux, en remplacement des matelas rudimentaires posés à terre. Cela se fera peut-être, petit à petit !
Côté champignons, D. pense pouvoir commencer cette semaine le compostage. Selon PR., tout est déjà vendu avant même que ce soit semé ! C’est l’optimisme d’ici. Tout ce que l’on peut souhaiter, c’est qu’ils poussent.
Pour ma part, je m'ennuie un peu de rester à la maison, surtout que Guaíba n'est pas très distrayant. Je ne manque pas d’idées pour m'occuper mais je ne peux les réaliser par manque de matières premières. Tout ce qui faisait mon ordinaire en Europe semble ici rare et cher. La laine coûte environ l’équivalent de 12,50 F les 100 grammes et elle n'est pas très belle.
Aux dernières nouvelles, nous prévoyons d’aller habiter à Porto Alegre après Noël. D. ferait le trajet chaque jour (90 km aller et retour) et resterait déjeuner à la ferme : c’est déjà ce qu’il fait d’ici. Pour les enfants et pour moi la vie à Porto Alegre serait plus distrayante. G. pourrait aller à l'alliance française chercher des livres français à volonté (c'est ce qui semble le plus lui manquer). Cette semaine nous pensons aller visiter une école tenue par des religieuses françaises et essayer de les inscrire pour l'année prochaine. L'enseignement se fait bien sûr en portugais, mais les religieuses pourraient les aider à faire le lien entre le français et le portugais. Ici, l’enseignement public semble assez mal considéré. Les professeurs sont mal payés et les classes sont surchargées. Tout le monde nous conseille l’école privée, mais les prix sont élevés et nous ne savons pas encore ce que les champignons vont rapporter.
Comme G., nous serions tous heureux de recevoir de la lecture en français : " le Télégramme de Brest " de temps en temps, par exemple, nous donnerait les dernières nouvelles de par chez vous. Puis quelques revues et magazines pour nous et pour les enfants. A charge de revanche nous vous enverrons les journaux d’ici : " O Correio do Povo " et " A Manchete ".
C'est affreusement décourageant de parler portugais. Certains jours, je sens que ça coule tout seul et d’autres jours où je perds complètement l’espoir d'y arriver et j'ai l'impression de parler de plus en plus mal. On se baigne dans la langue en écoutant le plus possible la radio et en regardant la télévision. Peut-être un jour cela portera-t-il ses fruits !
Le temps est le plus souvent beau et chaud, toujours très humide. Quand la chaleur arrive à son comble et que l’on est dégoulinant de sueur, un gros orage éclate, les pluies sont diluviennes et peuvent durer quelques jours avec une descente relativement vertigineuse de la température. Cela se passe bien sûr, de préférence, pendant les week-ends !...
D. rentre à l’instant du boulot. Son parfum n’est pas Channel n°5, mais plutôt « compost » !. Je vous laisse imaginer. Le fumier qu’il recompose artificiellement pour faire pousser les champignons a une odeur véridique. Ce doit être la preuve de sa bonne qualité !...
En ce moment, comme je suis secondée, j'ai le temps de mijoter des petits plats ! C’est un peu difficile de trouver les ingrédients. Quand je rentre dans une supérette ou un super-marché, je ne sais pas où regarder et tout semble différent de ce que l’on a l’habitude de trouver en France. La viande n’est ni découpée, ni présentée de la même façon. Les poulets baignent dans une espèce de sauce qui doit contenir des conservateurs ! Pour trouver des légumes, il faut aller chez l’unique fournisseur qui est japonais. Il vend de la « verdure » ! La je peux retrouver des choses qui ressemblent à ce que j’utilise pour faire du pot au feu ou des salades ! Le plat de tous les jours ici est « feijao e arroz », des haricots noirs en sauce et du riz, agrémenté de viande pour les gens qui ont les moyens. Ils mangent très peu de légumes frais, à part la sempiternelle salade pomme de terre mayonnaise qui accompagne le « churrasco » les jours de fêtes !
Le « feijao e arroz » des grandes occasions est aussi un plat national brésilien : la feijoada. En plus des haricots et du riz, il y a différents morceaux de viande de porc assez gras en général et des saucisses, puis une salade d’orange et de verdure pour accompagner. Ca vaut bien un cassoulet ! … il faut ensuite pouvoir faire une sieste à l’ombre dans un hamac ! La jeune fille qui m’aide est étonnée que chaque jour je fasse une cuisine différente.
PR. est passionné de cuisine et j’avoue que c’est à peu près le seul centre d’intérêt commun que l’on se soit trouvé, lui et moi. A part le churrasco et la feijoada, comme I le beau-père est italien, il prépare aussi souvent des pâtes. Samedi prochain, je suis chargée de faire de la cuisine française à la ferme.
Sur ce, nous allons nous mettre à table et ensuite nous allons regarder la télénovela du moment : " O Casarão ".
J’ai installé mon matériel de développement de photographie et je vais sans doute ensuite développer quelques photos avant d'aller me coucher.
J'ai l'impression qu'il y a longtemps que je n'ai pas bavardé avec vous. Ce n'est pas faute d'y penser, c'est plutôt faute de temps. Rosa n’est pas venue pendant plus d'une semaine. Il a donc fallu assurer le travail des enfants en même temps que la tenue de la maison. Le soir j’étais trop fatiguée pour avoir le courage d’écrire.
Nous avons savouré votre nouvelle lettre. Continuez à nous raconter tous les détails de la vie de chez vous, rappelez-nous que cela existe encore et faites nous participer aux joies et aux misère de chacun.
Même si mon temps est très pris, je m'ennuie. Je me lève le matin sans grand enthousiasme et en essayant de m'inventer des distractions.... Je suis pourtant très active toute la journée, mais ce sont des activités qui ne me séduisent pas beaucoup. pas de laverie, pas de machine à laver, le lavoir pour laver le linge !... Je me réserve quand même un moment précieux dans l’après-midi : l’heure de yoga à la télévision, que je suis le plus régulièrement possible.
J'ai beaucoup d'espoir de distraction pour la semaine prochaine, car A. sera en vacances. Elle a promis de me consacrer de son temps. Ce sera surtout bon pour le portugais, car je n'ai l'occasion de parler que le dimanche et ce n'est pas assez.
Quant aux enfants, je les crois plus heureux qu'à Paris ! En ce moment, G. prépare une salade de fruits, E. joue avec ses " play-mobiles " (c'est une vraie passion) et T. vient de terminer sa rédaction (il s’agissait de décrire sa chambre !). Aujourd'hui, ils n'ont pas eu école, car c'était une journée d'examens. Malheureusement, le temps n'est pas de la partie, il y a eu un gros orage hier soir et le ciel est encore gris.
Ca y est, nous avons inscrit les enfants pour la prochaine rentrée à Porto-Alegre, dans le collège des religieuses... Ils apprendront les bonnes manières, uniforme obligatoire etc. Cela nous coûtera 800 cruzeiros par mois, c'est-à-dire environ 400F. Ils acceptent de les prendre au même niveau qu’en France, moyennant leurs dossiers que j’ai demandés à l'école de Courbevoie.
D. est dans le fumier jusqu'au cou. C’est bon pour l’odeur ! ! et l'état du linge à laver ensuite à la main ! ... Enfin si les champignons poussent, il aura bien mérité. La semaine prochaine, il fait la première pasteurisation. Puis dans quatre semaines, les premiers champignons devraient apparaître ! " Inch'Allah " !...
L'autre soir nous avons été invités à l'apéritif par le vice-consul de France à Porto Alegre. Il nous a présenté sa famille. Il s’appelle JJ., sa femme Merce.. Elle est espagnole. Ils ont deux enfants, un garçon a à peu près l’âge de T., et une petite fille, Sabine, plus jeune et très rigolote. Il sont très sympathiques. Il y avait aussi chez eux un couple de Français, M. et MM.. Nous sommes tous allés manger dans une pizzeria. C'était notre première sortie personnelle à Porto Alegre. Nous étions vite très à l’aise avec eux comme si nous nous étions toujours connus. C’était aussi très rassurant de se retrouver avec des personnes " normales ", pas parce que françaises, mais des personnes non super riches comme les P. qui eux sont si loin de nos préoccupations et de notre classe sociale. Il semble que dans la société brésilienne, il n’y ait pas de classe moyenne. Un énorme fossé existe entre une minorité de personnes immensément riches et la grande majorité qui survit tant bien que mal, avec un salaire moyen équivalent à 500 F par mois. Où va-t-on se situer entre ces deux extrêmes ?
des photos (balade autour de Guaiba)
D. a perdu une dent de devant et il n'était pas beau à voir. Il est allé voir un dentiste qui lui a posé une dent provisoire qui risque de lui rester plus que provisoirement car il n’aura pas les moyens de faire plus !. Pour l’instant nous n’avons pas de couverture sociale, car nous avons seulement un visa de touristes. Il existe ici une couverture universelle « a providencia social », mais il y a des queues de plusieurs jours et si on veut être bien soigné, il faut avoir les moyens d’utiliser la médecine privée parallèle. Heureusement que pour l’instant en cas de besoin, on peut toujours s’adresser à PR, l’ami de PR qui est cardiologue. Il peut nous faire une ordonnance. Il ne faudrait pas que quelque chose de grave nous arrive !
N’oubliez pas de nous envoyer de la lecture de temps en temps. C'est ce qui nous manque le plus, surtout à G. et à moi. Pomme d'Api serait bien accueilli par E. et Okapi par T.. Envoyez-nous un exemplaire et ensuite je les abonnerai. Merci.
Si vous n'étiez pas si loin, je demanderais à Maman de leur tricoter des blazers bleu marine pour le collège. Mais je pense que ce serait trop cher de les envoyer par la poste. Il y a en plus beaucoup de risques de ne pas les recevoir. Ils se contenteront donc de la confection locale.
Depuis hier, nos malles sont arrivées au port et PR. s'occupe du dédouanement. Peut-être les aurons nous reçues avant la fin de la semaine. Nous rêvons des trésors que nous allons y retrouver. En fait, il n’y a pas grand-chose, mais le souvenir embellit tout.
Je reçois à l'instant " le Télégramme de Brest ". Mon après-midi va être bien occupé ! Je vous enverrai bientôt nos journaux locaux.
J’ai en vain attendu toute la semaine un coup de fil de A, qui m’avait promis qu’elle viendrait me chercher et rien ! Elle a sans doute des choses plus intéressantes à faire, mais moi c’est mon unique contact pour le moment. Peu à peu , je m’aperçois qu’ici les promesses ne coûtent pas cher !